Pendant longtemps, on a affirm�, sans la moindre preuve, que la facult� de parler aurait �t� acquise ind�pendamment, dans chaque r�gion o� les humains se sont install�s, ce qui aurait donn� naissance � des langues modernes diff�rentes. En Occident, toute recherche de parent� entre grandes familles de langues �tait, de ce fait, raill�e sinon interdite par la communaut� scientifique. Aujourd'hui, on pense plut�t qu'il n'y avait qu'une seule langue originelle, qui aurait donn� naissance � toutes les autres.
Nombre d'indices concordent. A la suite de l'Am�ricain Noam Chomsky, les linguistes ont d�couvert qu'il existait des structures grammaticales communes � toutes les langues. On sait aussi qu'un b�b� humain, quelle que soit son origine, dispose d'une aptitude linguistique universelle : � la naissance, il a la possibilit� d'apprendre � parler toutes les langues, pouvoir qu'il perd petit � petit en privil�giant les sons de la langue ou des langues qu'il pratique. Nous pouvons donc pr�sumer l'existence, chez tous les �tres humains, d'une capacit� commune � produire tous les sons et � construire des phrases. Et puis, les linguistes ont reconstitu� des filiations entre les langues actuelles et d�termin� desgrandes familles entre lesquelles ils ont � nouveau cherch� des parent�s plus lointaines.
Ils ont analys� m�ticuleusement certains mots cl�s, ceux qui constituent g�n�ralement une n�cessit� vitale : l'eau, je, tu..., en les comparant dans diff�rents groupes de langues. Cela a donn� quatre grandes familles de langues africaines (les langues � clics des Khoisan au sud du continent ; les langues niger-kordofaniennes � l'ouest, au centre et au sud de l'Afrique ; les afro-asiatiques dont l'�gyptien ancien, le berb�re, l'arabe, l'h�breu; les langues nilo-sahariennes, depuis la boucle du Niger jusqu'� l'Afrique de l'Est). Et sans doute aussi trois grandes familles de langues seulement en Am�rique, mais cela est encore�discut�. Merrit Ruhlen, un linguiste am�ricain, a d�couvert �galement des racines qui seraient partag�es par toutes les grandes familles linguistiques du monde. Ce sont des � mots fossiles � en quelque sorte, comme les g�nes fossiles ou comme les os fossiles. Tout cela semble concorder pour avancer qu'il y aurait eu autrefois une seule langue m�re ances-trale pour les cinq mille langues actuelles r�parties en douze familles, sans doute entre -50 000 et -20 000 ans.
On sait bien que ce ne sont pas les g�nes qui d�terminent la langue que l'on parle. Un b�b�, quelle que soit son origine, apprend celle dans laquelle il est �lev�. S'il y a un tel parall�lisme entre langues et g�nes, c'est sans doute parce que, entre — 30000 et —3000 ans, les humains ont repeupl� le continent africain en quatre vagues qui correspondraient ainsi aux quatre grandes familles de langues. Ces groupes n'ayant pas eu beaucoup d'interactions les uns avec les autres, leurs langues auraient alors rapidement diverg�, tandis que les fr�quences de leurs g�nes changeaient parall�lement.
En combien de temps ?
Cela va tr�s vite pour les langues. Songez que le fran�ais du moyen �ge se parlait il y a un mill�naire, et que nous ne le comprendrions pas aujourd'hui. Que le fran�ais et l'italien ont diverg� en moins de deux mill�naires... Les langues changent beaucoup plus rapidement que la fr�quence des g�nes. Deux ou trois si�cles suffisent pour que naissent des dialectes, puis des langues nouvelles. Mais il faut des dizaines de milliers d'ann�es pour que l'�volution des g�nes cr�e des diff�rences appr�ciables entre populations. Les �chelles de temps ne sont pas les m�mes.